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Le mime, c'est le mouvement sur place [compte rendu]

Dernière mise à jour : 29 déc. 2019


Les chants du mime : en compagnie d’Étienne Decroux de Gabrielle Giasson-Dulude. Montréal: Éditions du Noroît, collection «Essai», 2017, 160 p.



Dans Les chants du mime : en compagnie d’Étienne Decroux, Gabrielle Giasson-Dulude retrace son propre parcours artistique – sa rencontre avec le mime à l’âge de 14 ans – au travers du parcours d’Étienne Decroux, fondateur de l’étude du mime corporel. Elle tisse des liens entre leur pratique respective ; elle a étudié auprès de certains disciples de Decroux, Jean Asselin et Denise Boulanger, qui ont également cofondé la compagnie Omnibus, école de théâtre corporel. La philosophie de Decroux était centrale dans leur approche du mime : « On doit s’occuper du mime comme les premiers chrétiens se sont occupés du christianisme. Comme les premiers socialistes se sont occupés du socialisme. C’est de militants dont on a besoin ».


Le parcours d’Étienne Decroux

Dans Les chants du mime, Giasson-Dulude traite de ce qui a amené Étienne Decroux au mime. Elle contextualise l’époque (il donnait des cours dans le sous-sol de sa maison au départ), elle explique le développement de sa pensée. Elle compare sa démarche à celle d’autres praticiens qui l’ont marqué comme Jacques Copeau et Gordon Craig. L’autrice parle brièvement de la première création de Decroux avec Jean-Louis Barrault qui va mener à l’invention du mime corporel en 1924. Plus qu’un récit historique, Les chants du mime relate le cheminement de Decroux en portant une attention particulière à l’expérience du sensible, passant de la formation à la pratique du mime aux rituels associés. L’autrice insiste davantage sur l’enseignement du mime que sur sa représentation sur scène. Elle revient sur le déroulement, sur le fonctionnement des cours de Decroux qu’elle met parallèlement en relation avec ses propres cours. Decroux avait un sérieux, une rigueur de l’attention et c’est par la discipline et le rituel qu’il transmettait sa fougue pour le mime.


Le rituel

De son expérience personnelle, à l’ancienne École de mime de Montréal, l’autrice se souvient de l’impression de communauté entre les membres du groupe. Elle met l’accent sur le rituel, sur le silence radical, qui représente une autre manière d’appréhender la rencontre (la rencontre se démultiplie : l’autrice traite de la rencontre avec soi, avec le mime, avec le silence, avec l’autre). Le rituel est présent dans l’écriture même, dans la manière que l’autrice a de le décrire : elle installe son environnement, recrée l’atmosphère de sa salle de cours, parle de la froideur du plancher, du noir des vêtements qui couvraient les corps. Le noir rappelle celui de la couverture du livre qui enveloppe les pages comme le noir enlace les corps. « Pour entrer en cérémonie, il fallait installer le rituel : choisir les gestes, les structures des paroles et des pensées, qui sont tout à la fois anciennes et renouvelées à chaque entrée. » Decroux pouvait répéter un geste à l’infini avant d’être satisfait ; de la même façon, l’autrice use de la répétition lorsqu’elle traite des rituels, elle insiste sur cette technique, sur les entrées, sur les figures à récréer.


La multiplication des disciplines

À la présence insistante du rituel, Gabrielle Giasson-Dulude ajoute la rencontre entre la poésie et le mime corporel, entre le langage, le geste et le silence. Le poème, comme le mime, crée une image, l’incarne avec une certaine liberté, dans un refus ou une confrontation des codes établis. « Le mime, comme le poème, décharge la parole des rigidités langagières. » Étienne Decroux était un grand lecteur de poésie, en particulier de Baudelaire et de Victor Hugo ; il s’est inspiré des formes poétiques de leur discours pour penser son mime, créant une « étude de la grammaire du corps ». Chez Decroux, « chaque geste était sculpté comme le vers d’un poème ». Son projet était d’inventer un art corporel avec un langage propre. Il cherchait à étudier ce que le corps pouvait exprimer que la langue ne pouvait pas, il cherchait à remplir les vides entre les silences et entre les gestes autrement. « Savoir vivre les différents lieux, mais aussi les différents âges de l’histoire de l’humanité, créer de la polyphonie, évoquer des répétitions, voilà ce que cherche le mime, à l’image de la poésie ; et la poésie, à l’image du mime. »


Dans cet essai, il est aussi question de la rencontre avec d’autres disciplines : entre le mime, la danse – on nomme Pina Bausch « qui savait entendre les silences du corps » – et le théâtre où Decroux a d’abord été formé. Les différentes relations tissées, avec la pantomime et l’art clownesque, par l’autrice ramènent tout au corps et à sa présence. La distinction entre mime, pantomime et art clownesque repose sur le traitement esthétique propre à chacune des trois disciplines et sur les expressions du visage. Le visage « du mime corporel n’est pas démonstratif. Les mimes n’avaient rien à communiquer ni à faire voir, ce qui conférait au corps toute l’expression. » Le mime permet au corps de prendre conscience de lui-même. Le principe est de le décomposer, d’isoler chacune de ses parties pour ressentir les relations entretenues entre chacune d’elles. C’est la technique du « un à la fois : inclinaison de la tête sans le cou ; la tête et le cou sans le buste ; la tête, le cou et le buste sans le tronc, et ainsi de suite ». L’idée est de reproduire des mouvements du quotidien, mais de les décortiquer, de les comprendre. Il faut prendre conscience de chaque mouvement, de leur fonctionnement. Il faut analyser chaque partie du mouvement pour ensuite l’appliquer. Tout est une question de rythme dans le mime. Giasson-Dulude travaille aussi la rythmique dans son écriture ; elle joue avec la respiration, avec les silences. Le texte est découpé en fragments, en paragraphes brefs, séparés par des blancs qui indiquent où prendre des pauses dans la lecture, de la même façon que le mime concentre, découpe ses mouvements dans l’espace scénique. Cette structure permet de bien peser l’importance, l’apport de chacun des fragments, elle permet de bien saisir les techniques, de les visualiser dans l’espace du livre, mais aussi dans l’espace réel.


Giasson-Dulude s’attache vers la fin de son essai à une ultime discipline : le chant. Elle raconte qu’à la fin des cours de Decroux « le dernier exercice était exécuté en compagnie des chants du mime, et il aimait que tous les étudiants chantent avec lui ». C’était une façon de renforcer le sentiment de communauté par l’abandon de soi au groupe. Les voix et les corps s’accompagnaient, dans la rencontre des deux disciplines que sont le chant et le mime. L’essai est construit sur ces relations multiples, illustrant la technique développée par Decroux qui fonctionnait par entrelacements. Avec le chant, Decroux pouvait « mettre en vie le silence du corps ».


Un langage propre

Dans Les chants du mime : en compagnie d’Étienne Decroux, Gabrielle Giasson-Dulude marque l’importance de l’héritage du maître du mime corporel Étienne Decroux dans un va-et-vient entre leur pratique respective. Elle trace le passage réussi de la discipline, de sa création en 1924 à son enseignement toujours actif près de 100 ans plus tard. L’autrice ne donne pas toutes les réponses, mais l’essentiel y est habilement décrit. Elle expose des faits qui donnent à réfléchir, elle laisse la possibilité aux lecteurs d’aller compléter leur lecture en poussant la recherche, que ce soit sur Decroux lui-même, sur les différentes écoles et sur les différentes techniques du mime corporel.

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© 2018 by Karolann St-Amand.

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